pointculture : Quand Cécile Massart réfléchit le nucléaire
Publié le 9 Mars 2021 par Jean-Jacques Goffinon sur le site de pointculture.be
Crédit photo : ©Michel Mazzoni
Au Nouveau-Mexique comme au Nevada, les déchets radioactifs sont enfouis sous terre, dans des déserts, loin de la civilisation. Ces sites, dangereux pour plusieurs centaines d’années, posent question.
Dans une réflexion qui tient aussi bien de l’héritage laissé aux générations futures que de la signalisation physique des dangers de ces vastes étendues, Cécile Massart expose, au Botanique, ses recherches plastiques comme des tentatives de solutions.
Marqueurs
Comment, pour les plusieurs centaines d’années à venir – soit des dizaines de générations – allons-nous entretenir la mémoire de ces sites ? Comment réfléchir durablement à leur existence physique mais aussi morale ? Cécile Massart crée d’abord une signalétique dans l’espace. Un répertoire de formes faites de suites de points, de lignes parallèles, de rectangles et d’angles, qui permettrait, sur chaque lieu de stockage, de localiser, détourer ses formes cachées tout en indiquant ce qu’elles enferment.
Ensuite, elle nous propose des ébauches d’édifices, architectures à construire, pour créer des laboratoires de transmission où scientifiques, artistes et citoyens se rejoindraient dans le devoir de mémoire. Jugeant l’obsolescence de nos supports toujours plus rapide, c’est sur l’homme, comme passeur du souvenir, que l’artiste fonde son projet.
Étude du temps qui passe
Le temps qui s’écoule est une notion emblématique de la réflexion comme de cette exposition. D’abord une première œuvre, Toiles de mémoire est l’installation d’un ensemble de vieux écrans de télévision et d’ordinateur faisant preuve de cette obsolescence de nos moyens de communication comme de préservation du patrimoine. S’ensuit une série de photos de constructions en Lego, exposées sous vitre plombée, pareilles à une représentation de cubes entassés, contrastés et presque menaçants, avant d’introduire le vif du sujet : un demi-cylindre de métal, moule d’un superconteneur de béton, est étendu au sol. Plus loin, des échantillons de forage géologique sur le site belge de Dessel témoignent des études de la perméabilité du sol. Juste à côté, des morceaux d’argile cuite nous projettent l’idée d’une terre en contact avec de la matière fissile toujours chaude et active. À l’étage, un court extrait filmé nous montre l’intérieur de l’un de ces ventres noirs et enterrés ou s’entassent les déchets américains. Enfin, des photos de sites exposent des terrains désertés où rien ne bouge.
L’écrit reste
Comme cette exposition fut remise plusieurs fois à plus tard, pour les raisons que nous connaissons tous, Cécile Massart et Aldo Guillaume Turin ont travaillé de concert avec les éditions La Lettre volée pour livrer un ouvrage extrêmement documenté et commenté sur le travail de la plasticienne et les dialogues qu’elle a entrepris dès 1994 avec les scientifiques à travers le monde (dont l’ONDRAF/NIRAS en Belgique).
Usant de bon nombre de techniques et mélangeant les supports comme les médias – photographie, dessin, plâtre, vidéo, peinture et mise en scène d’objets –, l’exposition Sarcophagi - Radioactive Waste de Cécile Massart est une réelle sensibilisation à la problématique des déchets radioactifs. Elle met aussi en lumière une particularité de notre génération : la première à laisser en héritage des objets hautement dangereux pour une durée presque indéterminée. Et si, dans deux siècles, les archéologues ne déterraient plus des momies, mais des sarcophages de béton porteurs de malédictions inodores et invisibles ?
Jean-Jacques Goffinon
Sarcophagi - Radioactive Waste est au Botanique jusqu’au 25/04