How to warn future generations about buried radioactive waste?
This article by Floriane Leclerc has been published on 25/11. I can be read (in French) on slate.fr
http://www.slate.fr/story/110441/enfouissement-dechets-radioactifs-avertir-generations-futures
C’est un véritable défi que les pays nucléarisés vont devoir relever. Depuis quelques années, certains envisagent, pour plus de sécurité, d’enterrer leurs déchets radioactifs les plus dangereux dans des sites de stockage attitrés. Dans la Meuse, le centre industriel de stockage géologique de Bure pourrait notamment accueillir les résidus de haute activité produits par le parc électronucléaire français, dès 2025, si l’autorisation de construire était donnée. Scellé cent ans plus tard, ce sarcophage technologique, creusé à 500 mètres sous terre dans une couche imperméable et stable d’argile, doit pouvoir résister des centaines de milliers d’années. Le temps que son chargement ne présente plus de risque. Mais comment faire pour que l’homme se rappelle son existence d’ici là? L’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) a été chargée par l’Autorité de sûreté nucléaire d’entretenir la mémoire du site cinq siècles au moins après sa fermeture. Est-ce assez? Parmi les futurs «colis»: le chlore 36 ou l’iode 129 affichent une longévité de 300.000 ans et 16 millions d’années. «Pour répondre à la demande sociale, nous devons aller au-delà et nous interroger sur une mémoire multimillénaire», considère Patrick Charton, qui pilote, depuis 2010, au sein de l’Andra, un projet sur la question.
La sûreté des centres devant être assurée de manière passive, sans qu’aucune intervention humaine ne soit nécessaire, certains pays ont dans un premier temps envisagé l’oubli. C’est le cas de la Finlande, dont le site de stockage Onkalo («la cave») devrait bientôt être construit au sud-ouest du pays, raconte le documentaire Into Eternity. Mais les autorités y ont vite renoncé. «Comment programmer l’oubli? On ne pourrait effacer les souvenirs de toute une population, même si on détruisait les dossiers et camouflait les traces, explique Patrick Charton. On ne serait pas non plus à l’abri d’une intrusion.» Les travaux nécessaires à la construction du site laisseront des empreintes dans le paysage qui pourraient bien interroger les archéologues du futur. Et si, ignorant le danger, ils se mettaient à creuser? Surtout, les générations à venir devront pouvoir, si elles le décident, revenir sur nos pas. Des interventions pourraient être nécessaires en cas de complications, ou si les évolutions technologiques et sociétales l’exigeaient.
Plans, explications techniques de sûreté, histoire du site, nature des «colis» enterrés … Les archivistes de l’Andra ont donc sélectionné les documents susceptibles de répondre aux attentes de nos descendants. Pour les conserver, les archives nationales et départementales semblent toute désignées. Mais elles ne sont pas infaillibles. «Si les conflits armés et les catastrophes naturelles sont des facteurs de vulnérabilité, les professionnels redoutent encore davantage les risques du quotidien ou les réductions budgétaires, qui peuvent à coup sûr altérer la mémoire», explique Christophe Jacobs, consultant spécialisé dans l’archivage et la gestion des risques chez Limonade & Co.
Disque de saphir
Concernant le support, la solution numérique seule ne suffira pas. «Certains supports informatiques ne sont pas si pérennes que cela. Même les disques durs se dégradent au bout de quelques années», pointe le consultant. La technologie est aussi susceptible d’évoluer, rendant obsolètes lecteurs et logiciels capables de les déchiffrer. En complément, les chercheurs préconisent donc de doubler la mémoire sur du «papier permanent». Fabriqué à partir de cellulose pure, doté d’un pH basique et d’une résistance à l’oxydation, un tel document, imprimé avec une encre stable, pourrait être conservé de 600 à 1.000 ans. La mémoire détaillée du site de stockage historique de la Manche, destinée aux experts, bénéficie déjà d’une telle solution.
Autre option: graver les informations sur un disque de saphir. Capable de résister au moins 2 millions d’années, il pourrait stocker près de 40.000 pages d’informations. Le hic? Il casse comme du verre. Et son prix –20.000 euros– a de quoi doucher l’enthousiasme. «Cette solution n’est pas écartée, explique Patrick Charton. Mais à quoi cela sert-il de pouvoir conserver des messages aussi longtemps alors qu’on ne sait même pas s’ils seront encore compréhensibles?»
Pictogrammes
Si les conflits armés et les catastrophes naturelles sont des facteurs de vulnérabilité, les professionnels redoutent encore davantage les risques du quotidien ou les réductions budgétaires, qui peuvent à coup sûr altérer la mémoire
Christophe Jacobs, consultant spécialisé dans l’archivage et la gestion des risques chez Limonade & Co
Aujourd’hui, des documents d’archives sont rédigés en français. Mais notre langue pourrait bien s’éteindre. «À un moment, il était question de créer un langage universel, simplifié qui pourrait fonctionner sur le long terme, explique Eleni Mitropoulou, professeur de sémiotique à l'université de Limoges. C’est illusoire. Une langue, pour qu’elle vive, doit reposer sur une culture. Il n’y a qu’à voir l’échec de l’esperanto.» Les informations pourraient être traduites en anglais, espagnol, latin ou grec. Toutefois, «on ne communique pas qu’avec la langue. Il faut penser un système plus global», insiste la sémioticienne.
Sur le site de stockage et ses abords, les messages informant de la nature du lieu seraient donc complétés par un signal sonore. Ou encore des pictogrammes, qui fonctionnent aujourd’hui très bien dans les aéroports. Ils pourraient aussi être inscrits sur d’imposants «marqueurs» disposés à la surface. Une étude menée par l’Agence pour l’énergie nucléaire suggère de s’inspirer des stèles japonaises, érigées aux endroits ravagés par les tsunamis. Aux États-Unis, les chercheurs ont pensé hérisser le centre du Nouveau-Mexique de gigantesques épines taillées dans du granit. Et dessiner une immense tête de mort, visible en surplomb, dans le paysage. «C’est une aberration, s’agace l’artiste belge Cécile Massart, que le problème préoccupe depuis une vingtaine d’années. On parle aussi de copier Le Cri, de Munch! Et pourquoi pas bâtir une pyramide? Il faut inventer une culture propre au nucléaire.» Sa proposition: des «archisculptures» volontairement abstraites reprenant des symboles tel le cercle, qui figure à la fois le puits de descente, les tunnels et les canistères. Le tout associé à un cocktail de couleur primaires. «Il faut que ça interpelle. Le but est d’alerter les gens, mais aussi de les intéresser pour que ce site ne se retrouve pas hors du monde.» Pour compléter le dispositif, un «laboratoire», construit à la surface, accueillerait intellectuels, chercheurs et riverains chargés de faire évoluer ces marqueurs de génération en génération.
Appropriation
Et pourquoi ne pas instaurer un rituel? Dans son étude baptisée «La Colline», l’artiste allemand Veit Stratmann suggère de recouvrir le site de quatre mètres de terre tous les trente ans: «Je ne vois qu’un moyen de transmettre la mémoire d’une culture, c’est de la ritualiser.» Afin de marquer davantage le paysage, la terre serait prélevée juste à côté. «De façon à creuser une fosse, en effet miroir», explique l’artiste, qui précise que son concept n’est pas voué à être réalisé.
Plus simplement, l’Andra réfléchit à ouvrir l’analyse des archives, tous les dix ans, aux associations de riverains afin qu’ils s’emparent d’un rendez-vous réservé aux experts. «Ce mouvement d’appropriation est essentiel. Sans implication de la population, l’oubli peut survenir en quelques décennies. Même quand les archives sont bien tenues», insiste Patrick Charton, qui prend l’exemple du TGV-Nord. Quand le train déraille, en 1993, personne ne comprend. Qui pourrait se douter qu’une ancienne galerie souterraine, creusée lors de la Première Guerre mondiale, vient de s’affaisser? Il faudra attendre les révélations d’un ancien soldat pour que les ingénieurs, déconcertés, pensent à consulter les archives départementales. «Il faut une histoire à raconter qui amène les personnes dans les lieux où l’information est conservée», insiste le responsable.
Mais quel récit bâtir autour de ces déchets? Dans les années 1980, alors que les projets d’enfouissement se multiplient, une équipe de sémiologues imagine des chats génétiquement modifiés qui vireraient au vert en présence de résidus radioactifs. Baptisée «solution Radiochats», l’idée n’a jamais vu le jour. Mais elle a fait le tour du globe. En 1980, l’artiste américaine Sandy Skoglund présentait ses Chats radioactifs dans les musées. Aujourd’hui, des images de félins verts s’échangent sur Twitter et des T-shirts à leur effigie sont désormais disponibles sur internet. Une chanson sur le sujet a même été créée. Résonnera-t-elle encore dans des milliers d’années?